Avec du fil et une aiguille, pépé Ibrahim a cousu les djellabas 70 ans durant

Nevine Ahmed Mercredi 10 Mars 2021-12:37:18 Chronique et Analyse
Pépé Ibrahim Abu Muwafi
Pépé Ibrahim Abu Muwafi

Faire des djellabas et des abayas est l’un des métiers artisanaux qui exige des compétences et un grand professionnalisme, puisque c’est un savoir-faire que peu maîtrisent. Avec pépé Ibrahim, le plus ancien et le plus fameux des couturiers de djellabas, voici l’histoire intéressante d’un métier pratiqué avec amour et avec des « mains d’or », comme il tient à le dire.

 

 

Coudre une djellaba peut paraître une tâche facile. Mais pour pépé Ibrahim, c’est un métier qui doit être fait avec amour et surtout beaucoup de professionnalisme. C’est un métier, dit-il qui requiert du travail manuel et beaucoup de compétences. Si nous laissons de côté les détails, ce métier ne nécessite pas beaucoup d’outils ou mais il lui faut notamment du fil et une aiguille. Beaucoup de personnes portent la djellaba, l’abaya et le cafetan, dont notamment les récitateurs du Coran, les savants religieux d’Al-Azhar, les maires et les cheikhs de la Basse-Egypte aussi bien que ceux de Haute-Egypte. Il y a des artisans spécialisés dans ce domaine, dont certains ont consacré leur vie à la fabrication de la djellaba baladi (populaire), il y a 70 ans. Il s’agit de pépé Ibrahim Abu Soliman, originaire du village d’Al-Assayed, province de Darb Negm, dans le gouvernorat de Charqiya. Pépé Ibrahim est célèbre depuis son enfance et est devenu le plus ancien et le plus fameux couturier de djellaba dans son village, dans tout le gouvernorat et même en Haute-Egypte. Pépé Ibrahim a travaillé tout au long de ces années pour éduquer ses neuf frères et sœurs, après la mort de son père alors qu’il était encore jeune. Des journalistes du confrère arabe « Al-Yom al-Sabie », lui ont rendu visite dans son village, et il leur a raconté ses souvenirs de cette belle époque. Pépé Ibrahim Abu Muwafi, 78 ans, dit qu’il a appris le métier à l’âge de sept ans, de son grand-père. Ce métier est ancestral dans sa famille depuis 150 ans, il se transmet de père en fils. Son grand-père, raconte pépé Ibrahim, n’avait qu’un fils unique, son père, dit-il, bien qu’il se soit marié 9 fois il n’a eu qu’un seul enfant. Son grand-père tenait alors à lui apprendre ce métier pour ne pas le laisser mourir et pour qu’il ravive cette profession après sa mort. Pépé Ibrahim dit donc qu’il était le fils aîné avec neuf frères et sœurs. Il se rappelle que son grand-père l’empêchait d’aller à l’école et lui défendait de poursuivre ses études, parce qu’il tenait plutôt à lui apprendre la couture, et après la mort de son père à l’âge de trente-neuf ans d’une maladie cardiaque, il a assumé la responsabilité de ce métier héréditaire dans la boutique que le grand-père possédait. Et ce jusqu’à ce qu’il acquiert une grande renommée et ait une bonne réputation dans son village et les villages voisins, vu son amour du métier. C’est cet amour donc qui lui a permis d’être pionnier dans sa jeunesse, alors qu’il était responsable de ses neuf frères et sœurs et il devait leur garantir la possibilité de poursuivre leurs études, et de pouvoir aussi se marier. Pépé Ibrahim le faisait grâce à l’argent qu’il gagnait de son métier, un métier qu’il faisait avec grand amour. « Ce métier est une partie intégrante de moi-même », dit-il. Malgré sa vieillesse et sa souffrance des maladies cardiaques, l’amour du métier est toujours l’obsession de pépé Ibrahim, ce métier qu’il a connait depuis son bas âge. Il refuse même de coudre des djellabas ordinaires et non baladi, ce qui montre son grand amour pour ce métier. Il dit qu’il a ouvert les yeux dans une maison où l’on exerçait ce métier de père en fils. Dans sa jeunesse, pépé Ibrahim se rappelle qu’il travaillait 19 heures par jour. Pépé Ibrahim raconte son histoire avec le beau temps, en disant que le métier était saisonnier, et les gens achetaient les djellabas pour toute une année, une seule fois par an. Il se rappelle qu’il passait les jours de fêtes dans sa boutique, sans dormir avec ses artisans et ses apprentis, pour coudre les djellabas, et ce, lors des saisons et des occasions importantes, comme celle de la récolte du coton. Pépé Ibrahim raconte l’histoire de l’école de couture, qui pour lui « l’école de la vie ». Les anciens apprentis avaient l’habitude de se rendre dans une école de couture pour apprendre aux petits garçons à coudre. Le père du garçon signait un reçu et s’engageait à payer 15 L.E. sur 3 ans au propriétaire du magasin, pour qu’il apprenne le métier à son fils. Si le garçon maîtrise le métier, le propriétaire du magasin lui achète une machine à coudre, avec l’argent de son père, et il lui ouvrait une boutique. Mais si le garçon n’apprend pas bien le métier, le propriétaire du magasin donne au père du garçon les 15 L.E. en plus de 15 autres L.E. de son argent. Pépé Ibrahim continue à raconter en soulignant qu’il avait des clients parmi les savants religieux d’Al-Azhar et les récitateurs du Coran, notamment les cheikhs Mohammad Al-Laithi, Abdel Wahab Nahla, Al-Chahat Anwar, ou encore des membres de la famille Al-Suwidi, de la famille Awlad Abou Zaher au village de Taha Al-Marj, et d’autres clients de Haute-Egypte de même que les grands cheikhs des tribus du Sinaï. Il souligne que la fabrication du djellaba baladi, du cafetan et de l’abaya dépend à 99% du travail manuel. Il explique que la profession est au bord de l’extinction en raison du manque d’apprentis et de la volonté de nombreux artisans de travailler dans les djellabas occidentales, comme on les appelle, et donc de coudre avec des machines, car c’est plus facile, et ça permet de gagner du temps et le rendement est meilleur qu’avec le djellaba baladi. Mais il affirme que la djellaba baladi a toujours ses clients. Et pépé Ibrahim d’ajouter que dans son métier il n’utilise pas beaucoup de matériel, il utilise surtout une aiguille, du fil et de la cire. Il utilise aussi la machine à coudre qu’il a héritée de son grand-père et de son père pour préparer le tissu uniquement, puis il commence la couture, et ainsi la djellaba sort sous sa forme finale. Il l’envoie directement à un repasseur, qui utilise le fer à repasser manié avec le pied à El Sinbellawein, parce que c’est là que se trouvent les meilleurs repasseurs de tissu. Il ajoute que pour coudre une djellaba, il ne lui faut pas plus de 3 jours, alors que l’abaya nécessite une semaine. « D’habitude le client me consulte à propos du tissu et des couleurs avant de l’acheter », conclut-il.

 

Source : Al-Yom al-Sabie

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